L’art du perlage chez les Yoruba

Nouvelle vitrine sur le Plateau des collections

Contenu

Une sculpture perlée yoruba a intégré les collections du musée en 2022. Cette pièce remarquable, la douzième acquisition du Cercle Lévi-Strauss, représente un roi sur son trône et témoigne du savoir-faire yoruba dans la technique du perlage. Elle est à découvrir sur le plateau des Collections.  

La nouvelle vitrine en images

Figure royale perlée yoruba (à droite dans la vitrine) le 12 juin 2023.

© musée du quai Branly - Jacques Chirac, photo Julien Brachhammer

L'art du perlage chez les yoruba

Les yoruba sont connus pour leur créativité artistique et leur excellente technique dans le domaine du perlage, un art réservé au prestige des rois et des cultes majeurs du panthéon des orisha dont les racines historiques remontent à Obalufon II, roi d’Ifé qui aurait développé l’industrie des perles de verre produites localement, auxquelles se sont ajoutées à travers le développement du commerce avec l’Occident les perles de verre venues de Venise ou de Bohême.

Une composition remarquable et complexe

Un roi sur son trône

Un grand personnage masculin aux yeux très protubérants est mis en scène sur une base en vannerie en forme de sablier retourné, recouverte de textile et perlée. Ce personnage est porteur d’insignes de pouvoir performatif, chasse-mouche figuratif en crins (irukere ileke) et sceptre qui se place dans un support aux oiseaux, tous deux perlés, assis sur un trône au haut dossier figuratif - chasseur coiffé du même type de bonnet, qui surmonte directement la partie secrète de l’autel.

Les forces surnaturelles

Cette partie secrète est ajourée et enrichie de motifs en haut-relief, perles et cauris en partie basse. Lieu d’offrandes et d’activation du dispositif, on y entrevoit des motifs perlés inaccessibles à la vue. Cette attention extrême à toutes les surfaces d’une construction complexe se retrouve sous le socle avec un beau motif de spirale perlée totalement invisible qui évoque cette présence secrète des symboles du monde des forces surnaturelles.

L’autorité et la richesse

Le costume du personnage principal évoque l’autorité et la richesse : haut bonnet pointu « à oreilles de chien » évoquant une coiffe de chasseur et une couronne, tunique à languettes entièrement perlée où se déploie sur chaque face une scène différente : crocodile attrapant un lion, personnage dont quatre serpents sortent de la bouche et plateau d’Ifa, châle perlé, pantalon et chaussures de feutrine rouge brodés de perles et sequins.

Les symboles du pouvoir mystique

Un collier perlé doté d’un imposant pendentif à face humaine complète sa tenue. L’omniprésence du motif des oiseaux indique la prééminence des pouvoirs mystiques ambigüs des femmes que les Yoruba désignent sous le vocable apaisant de «nos mères».

Iconographie

Le combat des forces du monde

L’iconographie de la tunique met en scène le combat des forces du monde sous une forme peu courante, mettant face à face le crocodile, esprit de l’eau médiateur entre le monde des dieux et des hommes, et le lion, symbole de pouvoir et de victoire dans l’héraldique occidental, qui semble indiquer une référence directe au symbole de l’autorité britannique.

Le lion dans le bestiaire symbolique local a une charge spirituelle moins importante que le léopard : il est possible qu’ici, très subtilement, le crocodile montre sa supériorité vis-à-vis du pouvoir du (ou de l’ancien) colonisateur.  

L’adaptation du motif ancien du visage humain avec des serpents sortant des narines, ou de la bouche, renvoie à des images complexes présentes dans l’art des bronzes de Tsoédé (xiii -xive siècle), fondateur du royaume Nupe, ou celui des bronzes du Bas-Niger.

Le plateau d’Ifa rappelle la place de l’orisha de la divination dans la gestion des destinés humaines aussi bien que dans l’exercice du pouvoir.

Les perles

La beauté de la composition utilisant des perles de différentes tailles et différents types, opaques ou translucides, dans une gamme chromatique très étendue, souligne la dimension magique et protectrice des perles en tant que « médicament » (oogun) et vecteur de pouvoir activant (ase), ici utilisées aussi pour leurs qualités matérielles - la transparence, et symboliques - leur couleur.
Classées dans trois catégories, noire (bleu-vert-violet), blanche (blanc, argenté) et rouge  rouge,orange, jaune), les perles transmettent un rapport subtil entre couleur, température et tempérament qui renvoie aussi au monde des Orisha.

Transmission du pouvoir

On peut souligner la richesse des références et des motifs en haut relief, bovidés, oiseaux, visages d’Oduduwa, premier roi d’Ifè et père de la nation yoruba, entrelacs royaux, grelots de laiton soulignant la base, et interpréter cet ensemble comme un portrait royal placé sur un autel de Shango. Les décors du trône, où se tient un personnage protecteur, et du costume privilégient la couleur rouge et blanche, couleurs du dieu du tonnerre Shango, assis non seulement sur son trône mais aussi sur son autel en forme de sablier l’odo Shango. Il est cependant représenté non pas sous sa forme divine puisqu’il n’est pas accompagné du oshe Shango, son emblème incarnant la foudre, mais sous sa forme terrestre en tant que roi (Alaafin) d’Oyo.

Image de transmission du pouvoir, cette iconographie évoque aussi tous les Alaafin qui ont succédé à Shango, asseyant littéralement leur légitimité et leur puissance sur son culte.